Doc talk:Enfer : Différence entre versions

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L’enfer
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Je ne savais pas que j’étais morte. Je me sentais aussi vivante que sur Terre. Je me réveillais d’un sommeil profond allongée, le bras sous ma tête, sur une barque. Je me sentais bercée par le bruit de l’eau.
 
Je voulais profiter encore de ce doux moment de flottement entre veille et sommeil. Un léger sourire, je dépliais mes bras et je m’étirais.
 
Par instinct, je pensais à mon premier café du matin. Son parfum, sa chaleur, sa couleur, son âpreté et cet instant unique où je le bois.
 
Un homme m’adressait la parole. « Alors ce réveil ? »
 
Je lui répondais à mon tour : « Vous êtes ? »
 
L’homme : « Je suis le Passeur des âmes. Je traverse ce fleuve inlassablement. Ma tâche est de vous conduire là où mon maître me le demande. »
 
Et moi, ahurie : « Pardon ? Excusez-moi ? Je me retrouve au milieu de nulle part. Sûrement kidnappée, et je vais me laisser guider par un inconnu ? Je rêve ou quoi ? Tournez-vous ? Et c’est quoi cet accoutrement ? Non mais je suis où là ? »
 
Sur la proue, le regard droit devant, il canotait la barque de ses 2 mains. Elle était en bois, sans voile, longue, étroite et modeste. Il portait un long manteau d’un noir profond côtelé en velours bien trop large pour sa taille. Il portait des chaussures d’enfants. Des chaussures vernies noires à boucle aux bouts arrondis.
 
Il se retournait et je ne pouvais voir son visage. Abrité sous un chapeau rabougri et sombre, il semblait diriger son regard vers moi. Je me rendais compte que sa voix provenait de ma tête. Comme une sorte de transmission télépathique.
 
L’homme me répondait en toute banalité : « Vous êtes sur le Styx, le fleuve du monde des morts. Je vous conseille de ne pas mettre les mains. Non pas pour la fraîcheur de l’eau mais vous vous apercevrez que ce monde est hostile et impitoyable. 
 
Je suis votre guide jusqu’à votre prochaine destination. Je ne peux rien vous dire de plus. Non pas pour le secret professionnel, mais je suis attitré à mon unique mission qui est de vous amener à bon port. La raison pour laquelle vous êtes dans ce monde, c’est que vous ne faites plus parties des vivants. Rien de grave en soi. Vous avez fait votre part sur Terre.
 
Vous avez une cigarette ? »
 
Et moi, dans la surprise : « Non je ne fume plus ! »
 
Je réalisais que j’étais morte. Morte ! Morte ! Cruelle vérité ! Je respirais, je voyais, je me voyais, je sentais mes jambes comme une vivante ! Il a l’air de ne pas plaisanter.
 
J’admets la situation. Il me faut avoir toute ma tête pour mieux penser. Mais là, ce n’est pas le cas. Je vais devoir le croire et le suivre. Et si c’est une blague, j’en rirais dans quelques jours.
 
D’un coup, le vent s’était mis à souffler. L’eau devenait de plus en plus vaporeuse et chaude. La brume montrait ses particules insaisissables. J’entendais au loin par résonnance des lamentations lancinantes.
 
Le passeur, tel est guide touristique, me révélait que nous traversions le passage des plaintes des âmes prisonnières.
 
Des âmes sont enracinées ici-même dans le Styx. Des hommes et des femmes ont sauté par-dessus bord, croyant pouvoir échapper à leur sort, mais ils s'ancrèrent ici-bas, tels des arbres immobiles et ravagés par les émanations acides du fleuve.
 
Déchirés par la douleur de ne plus pouvoir en sortir, ils endurèrent les châtiments déployés par les sirènes-cordes dans une danse sensuelle et envoûtante.
 
Les sirène-cordes, enlacent de leurs longs bras flexibles, enserrent les corps en lambeaux, lacèrent les cicatrices rugueuses jusqu’à en faire des cratères infectieux.
 
Martyrs des abîmes, ils s'endurcissent, s'enlaidissent, exposés à l'atmosphère chaotique et médiocre de ce monde. Leurs plaies s'imprègnent, puisent l'eau des profondeurs du fleuve, un nectar qui est un lent poison à l'origine de toutes les mauvaises âmes qui ont péri en ces lieux.
 
Ils finissent leur voyage dans les profondeurs et le trouble des eaux du Styx.
 
Ces déesses démoniaques jouissent au son des hurlements de douleurs. Elles s’enivrent du parfum pestilentiel qui s’écoule des corps mutilés.
 
Elles m’effleurèrent la peau de leur aura glaçante. Et me susurrèrent à l’oreille, en boucle, chacune à leur tour : « Ton tour viendra ! »
 
Je n’avais pas envie de terminer comme ces statues de bois. Je restais droite, immobile dans cette coquille de noix. Priant pour ne pas finir dans ces profondeurs. Je fermais les yeux et me concentrais sur mon équilibre dans ma posture assise.
 
Nous continuions de traverser ce fleuve à destination inconnue. J’aurai aimé vivre cette aventure ans ma vie sur Terre. Une belle surprise pour mon anniversaire !
 
Où m’amenait-t-il ? Le voyage semblait interminable. Quel serait mon supplice ? S’il en était question.
 
Nous restions calme tout le reste du voyage. Les yeux fermés, je repensais à ma vie d’avant. Celle qui m’allait bien même si tout n’était pas rose.
 
Le Passeur ralentissait et arrêtait l’esquif devant une passerelle. C’est étrange comme son visage et ses mains restaient non visibles à mes yeux. M’approchant de lui, je remarquais que ses vêtements camouflaient parfaitement son apparence.
 
Je restais malgré tout hésitante et distante. J’aurai pu être horrifiée de son physique si j’avais essayé de relever son chapeau. Je m’apprêtais à grimper sur cette passerelle. Il me dit : c’est ici que tout commence ! Suis ton chemin ! Il est unique ! Il est tout tracé !
 
Je me sentais seule. J’allais sûrement l’être encore un bon moment.  Personne ne m’attendait à quai, sur ce nouveau territoire.
 
Je fis ce qu’il me dit. J’allais traverser cette terre seule, sans fin, sans regarder derrière moi, sans panneaux, sans boussole, sans repères, avec l'obscurité pour me guider
 
Plusieurs sentiers s’offraient à moi dans ce décor peu fourni. Je choisissais d’aller tout droit. Comme m’avait dit le Passeur.
 
Ce fut très court. Après 5 minutes de marche, je vis une porte bleue charbon fermée dans ce décor minimaliste. Je saisis la poignée et entrouvris la porte.
 
Une musique douce s’était mise en route. Je me retrouvais à la campagne en été. Un jardin paradisiaque avec des variétés de fleurs en abondance. Une fontaine en son centre ornée de statuettes. Un saule pleureur comme celui de mon enfance lorsque je cherchais un coin de solitude.
 
Je quittai la noirceur des ténèbres et retrouvais le ciel bleu azur de mon paradis.
 
La chaude sensation des rayons du soleil sur mon visage effaçait rapidement mes dernières heures dans cet enfer.
 
La musique s’intensifiait à devenir désagréable. Les fleurs se mirent à faner, leurs pétales tombant une à une. Le saule pleureur s’asséchait comme brûler par le soleil de plomb. La nuit se pointa en instant, apportant avec elle une atmosphère lourde et oppressante.
 
Un homme apparut, marchant d’un pas ferme et déterminé. Il s'arrêta au milieu du jardin et lança d'une voix forte :
 
« Qui est entré ici ? Mon jardin est détruit ! »
 
Il tourna le regard vers moi. « La voilà ! Je t’attendais ! Viens avec moi ! »
 
Il ne me laissa pas le temps d’interagir avec lui. Il prit mes épaules et me dirigea de force au milieu de son jardin.
 
Il m’amena devant la fontaine et m’invita à l’observer. Je fis le tour et regardais de nombreuses scènes se jouer devant moi. Il m’incitait à m’approcher encore un peu plus.
 
Et je me sentais de plus en plus happée par ces petites scènes où les personnages s’articulaient. La musique stoppa net.
 
J’avais l’étonnante surprise de revoir des bribes de ma vie.
 
Je m’absorbais encore un peu plus jusqu’à entrer dans chacune de ces scènes.
 
Et au fur et à mesure, les souvenirs me revenaient en mémoire, revivant les moments les plus douloureux, les plus brutaux, les plus injustes. Les maladies, les coups bas, de pertes et de regrets.
 
Je me sentais toujours prisonnière de ces instants  sombres, incapable de les laisser derrière moi.
 
Suis-je condamnée à revivre éternellement les mêmes souffrances ? Est-ce le sort qui m’aurait été décrété ad vitam aeternam ?
 
Je revivais ces moments dans le corps des autres, ressentant leurs émotions comme si elles étaient les miennes. Je me glissais dans la peau des victimes, des bourreaux, des sauveurs. Leurs sentiments m’envahissaient et se confondaient en moi.
 
Mon équilibre émotionnel passait à la centrifugeuse. Je sentais le poids décuplé des émotions, de culpabilité, de honte, de colère, de tristesse, d’envie, de jalousie, de haine, de rancœur.
 
Toutes ces souffrances remuaient en moi comme des crépitements de lave bridée sous un volcan.
 
Je ruminais, j’implosais, j'éclatais, j'éruptais, j’incendiais tout sur mon passage ! Le monstre en moi décuplait ma rage d’extermination. La métamorphose en créature immonde m’apparue comme un châtiment.
 
Mon cœur se mua en granite. Je me sentais piégée dans un corps qui n'était plus le mien. Je perdis la raison et la mémoire. J’entrais en scène piégée dans ce spectacle absurde et kafkaïen. Mon sort en était jeté !
 

Version actuelle datée du 11 juin 2025 à 17:10