Bib:Machine à explorer le temps
Herbert George Wells : Machine à explorer le temps (Folio [SH], 2016) - - première édition : 1985
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« L'Explorateur du Temps (car c'est ainsi que pour plus de commodité nous l'appellerons) » (j'écrirai désormais ET) présente à ses amis sa machine miniature à explorer le temps : celle-ci, partie dans le passé ou l'avenir, disparaît sous leurs yeux. Une machine identique, de taille supérieure afin qu'il puisse l'occuper et voyager lui-même dans le temps, sera prête une semaine plus tard, lors de leur prochaine réunion du jeudi.
En effet, le jeudi suivant ET revient de l'an huit cent deux mille sept cent un et raconte l'étrange monde découvert.
Voyage dans le temps
Wells écrit la première version de ce roman en 1888. Il le débute sans doute un an auparavant, à vingt et un ans, après avoir assisté à une conférence sur la quatrième dimension par Hamilton-Gordon. Poincaré, Minkowski et Einstein travaillent alors sur cette idée d'un espace-temps à quatre dimensions (trois d'espace et une de temps) qui révolutionnera la physique en 1905.
La dernière version de La machine à explorer le temps est écrite en 1924. En France, nous disposons de la traduction de Davray (1898). a
Conception wellsienne du déplacement dans le temps
Quoi qu'il en soit, Wells semble se passionner pour cette quatrième dimension qui inspire sa vision du voyage dans le temps : l'homme a toujours pu se déplacer en avant et en arrière des deux premières dimensions de l'espace (sur une ligne ou une surface plane), puis a vaincu la pesanteur afin de se déplacer dans la troisième dimension de l'espace (en hauteur : monter et descendre), il pourra bien un jour se déplacer dans la quatrième dimension (sur la ligne du temps).
L'interprétation d'un espace-temps à quatre dimensions n'est pas toujours évidente pour un homme du XXIe siècle. À la fin du XIXe, elle induisait facilement à penser la ligne du temps comme une ligne de l'espace, ce que Bergson tentait alors de démentir.
Pour Wells, donc, la conception de la machine à explorer le temps, qu'il ne développera pas sur le plan technique, se présente comme une machine qui circule sur la ligne du temps. Ses invités ne manquent pas de lui faire observer que si sa petite machine miniature disparue s'en est allée dans le passé, ils l'auraient vue passer hier ou la semaine dernière et si au contraire elle s'était dirigée dans le futur, ils la verraient tout à l'heure ou la semaine prochaine. La réponse paraît simple : elle se déplace trop rapidement pour que notre œil ait le temps de la saisir, comme les rayons d'une roue qui tourne très vite. On aurait pu lui rétorquer que dans ce cas, nous voyons plutôt les rayons partout qu'un vide.
De même, quand ET monte dans la machine qui va lui permettre de voyager, il pense qu'il peut traverser des objets qui se trouveront sur son chemin (puisque donc le temps est pour lui une ligne comparable à l'espace) mais évacue très vite l'objection :
- Aussi longtemps que je voyageais à toute vitesse, cela importait peu. J'étais pour ainsi dire désintégré — je glissais comme un éther à travers les interstices des substances interposées !
Il poursuit en convenant qu'il y aurait quand même un risque quand il s'arrêterait mais il le prenait.
En outre, l'expérience sous-entend que la machine continue, pendant son déplacement, à subir l'attraction terrestre puisqu'elle demeure au même point relatif de l'espace (dans son atelier), ce qui signifie qu'elle bouge avec la terre, le système solaire et l'univers et n'échappe pas, du point de vue de l'espace, aux lois de la physique newtonienne.
— Le narrateur précise même que la machine s'étant, dans le futur, déplacée dans l'espace, a bien subi, à son retour dans le présent, ce déplacement (p. 156).
Paradoxes temporels
Wells échappe facilement à plusieurs paradoxes temporels en projetant son personnage très loin dans le futur : il ne tuera pas son grand-père avant la naissance de son père ; il ne se rencontrera pas lui-même ; il ne pourra rien faire en revenant dans le présent qui changerait quoi que ce soit dans un futur aussi lointain.
Vision de l'avenir
Wells témoigne d'une virulente curiosité de l'avenir au point que, après sa vision de l'an huit cent deux mille sept cent un et la description de l'étrange civilisation qu'il y découvre (voir ci-après section De l'utopie à la dystopie), il veut aller, à travers son ET, encore plus loin. Cette « Ultime vision », « à plus de trente millions d'années », ne recèle a priori plus rien de politique puisque la terre se rapproche du soleil et de son inéluctable fin.
De l'utopie à la dystopie
ET voit d'abord un monde merveilleux :
- Dans l'air, ni moucherons, ni moustiques ; sur le sol, ni mauvaises herbes, ni fongosités ; des papillons brillants voltigeaient de-ci, de-là. L'idéal de la médecine préventive était atteint. Les maladies avaient été exterminées.
- [...]
- Des triomphes sociaux avaient été obtenus. Je voyais l'humanité hébergée en de splendides asiles, somptueusement vêtue, et jusqu'ici je n'avais trouvé personne qui fût occupé à un labeur quelconque. Nul signe, nulle part, de lutte, de contestation sociale ou économique. La boutique, la réclame, tout le commerce qui constitue la vie de notre monde n'existait plus [...]
- (p. 61-62).
Mais ce « paradis social » fait réfléchir le narrateur (devenu ET dans cette partie du récit), donc l'auteur :
- Je songeais à la délicatesse physique de ces gens, à leur manque d'intelligence, à ces ruines énormes et nombreuses.
- [...]
- Dans cette sécurité et ce confort parfaits, l'incessante énergie qui est notre force doit devenir faiblesse.
- [...]
- Nul doute que l'exquise beauté des édifices que je voyais ne fût le résultat des derniers efforts de l'énergie maintenant sans objet de l'humanité, avant qu'elle eût atteint sa parfaite harmonie [...]
- [...]
- Cette impulsion artistique elle-même doit à la fin s'affaiblir et disparaître.
- (p. 63-64).
La perfection du monde a entraîné l'absence de besoin, donc de motivation et personne ne crée plus rien. Déjà à ce stade l'utopie présente un aspect inquiétant.
Ensuite ET a la sensation qu'il existe deux races humaines dont une vit sous terre. Il songe que la stratification sociale qu'il connaît à son époque a pu évoluer
- De sorte qu'à la fin, on eut, au-dessus du sol, les Possédants, recherchant le plaisir, le confort et la beauté et, au-dessous du sol, les Non-Possédants, les ouvriers, s'adaptant d'une façon continue aux conditions de leur travail (p. 92).
La réalité s'avère plus terrifiante : les êtres du dessous, les Morlocks, ne supportent plus la lumière et sortent les nuits de pleine lune pour manger ceux du dessus, les Éloïs. Nous voilà en pleine dystopie : les oppressants ont tellement oppressé les oppressés qu'ils les ont déshumanisés au point d'en faire des monstres qui viennent les dévorer tandis qu'eux, à cause de leur monde trop confortable, sont devenus sans défense.
Conclusion
On considère souvent La machine à explorer le temps comme le premier récit de voyage dans le temps marquant alors qu'il ne pose nullement toutes les questions de paradoxes comme le fera Barjavel (Le voyageur imprudent, 1943) ; il ne donne pas non plus d'explications scientifiques comme le fera Pierre Boulle (La planète des singes, 1963) en précisant que les astronautes au long cours ne vieillissent pas tandis qu'ils se déplacent à la vitesse de la lumière (ou presque pas à des vitesses proches de celle-ci). Wells ne s'est en définitive pas soucié de la question du voyage dans le temps. Comme le Yankee à la cour du roi Arthur, (1889) de Mark Twain, observe le passé, son personnage observe le futur sans qu'il soit nécessaire d'expliquer au lecteur comment cela est possible.
Sans doute les films ont plus laissé cette idée de récit sur le voyage dans le temps et ses paradoxes, notamment celui réalisé par l'arrière-petit fils de H.G., Simon Wells, en 2002, où L'Explorateur, alors Alexander Hartdegen, construit sa machine motivé par le désir de revenir dans le passé afin d'y changer un événement dramatique : le meurtre de sa fiancée.
Par contre, La machine à explorer le temps devrait figurer parmi les grandes dystopies aux côtés du Meilleur des mondes (Huxley, 1932) et 1984 (Orwell, 1948) car le récit dépeint très simplement et très sûrement, sans besoin de grandes démonstrations politico-économiques, comment la société peut évoluer en continuant à creuser l'écart entre différentes couches sociales. Plus d'un siècle plus tard, l'inquiétude reste d'actualité.
Documents
- Résumé et analyse de Empire SF
- Sur Wikipédia :
Suite
En 1995, Stephen Baxter propose une suite de l'histoire :