Doc:Pyrame et Thisbé

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Page d'exemple comportant des explications 
sur la procédure d'intégration d'un récit
dans le Thésaurus narratif
On pourra lire directement #Schéma narratif
si l'on n'est pas intéressé par la méthode de son élaboration

Élaboration du schéma narratif (explications)

Livre IV-chap.I - Traduction Nisard.

Source
Pyrame, le plus beau des jeunes gens, et Thisbé, qui éclipsait toutes les beautés de l’0rient

Dans une fiche Pyrame, on mentionne sa beauté et sa jeunesse - Idem pour Thisbé.

[Ils] habitaient deux maisons contiguës, dans cette ville superbe que Sémiramis entoura, dit-on, de remparts cimentés de bitume. Le voisinage favorisa leur connaissance et forma leurs premiers nœuds ; leur amour s’accrut avec le temps, et ils auraient allumé le flambeau d’un hymen légitime, si leurs parents ne s’y étaient opposés ; mais leurs parents ne purent empêcher que le même feu n’embrasât deux cœurs également épris. Leur amour ne se confie à personne : il n’a pour interprètes que leurs signes et leurs regards ; et leur flamme plus cachée ne brûle qu’avec plus d’ardeur au fond de leurs âmes.

Pyrame et Thisbé s'aiment (double schéma : Pyrame aime Thisbé ; Thisbé aime Pyrame) → on indexe[1] dans la Catégorie:Aimer (État).

Les parents de Pyrame lui interdisent d'aimer Thisbé - Idem pour Thisbé → on indexe[1] dans la Catégorie:Interdire d’aimer, sous-catégorie de la Catégorie:Interdire (Acte).

Interdire est bien un Acte puisque le personnage à qui l’on interdit (l’Objet) est transformé, ne pouvant plus disposer, jouir, de ce qui auparavant lui paraissait accessible.
Le schéma ne prend pas en compte le voisinage de Pyrame et Thisbé. En effet, dans la mesure où ils s'aiment, c'est qu'ils se connaissent, le comment pourra varier sans modifier le schéma.
Le cadre (ville superbe, etc.) ne concerne pas non plus ce schéma.
Une fente légère existait, depuis le jour même de sa construction, dans le mur qui séparait leur demeure ; personne dans une longue suite de siècles, ne l’avait remarquée ; mais que ne découvre pas l’amour ? Vos yeux, tendres amants, furent les premiers à la découvrir ; elle servit de passage à votre voix, et par elle un doux murmure vous transmit sans danger vos amoureux transports.

Pyrame / Thisbé découvrent un moyen de communiquer → on indexe[1] dans la Catégorie:Découvrir un moyen de communication et la Catégorie:Découvrir un passage secret , sous-catégories de la Catégorie:Découvrir(Acte).

Souvent Thisbé d’un côté, et Pyrame de l’autre, s’arrêtaient près de cette ouverture pour respirer tour à tour leur haleine : « Mur jaloux, disaient-ils, pourquoi servir d’obstacle à nos amours ? Que t’en coûterait-il de permettre à nos bras de s’unir, ou, si ce bonheur est trop grand, pourquoi ne pas laisser du moins un libre passage à nos baisers ? Cependant, nous ne sommes pas ingrats ; c’est par toi, nous aimons à le reconnaître, que le langage de l’amour parvient à nos oreilles ». Debout l’un vis-à-vis de l’autre, ils échangeaient ainsi leurs plaintes ; quand la nuit venait, ils se disaient adieu, et chacun de son côté imprimait sur le mur des baisers qui ne pouvaient arriver au côté opposé.

Pyrame et Thisbé communient → on indexe[1] dans la Catégorie:Communier dans la sensualité et la Catégorie:Communier dans l’amour, sous-catégories de la Catégorie:Communier (Acte).

Notes
La réciprocité est contenue dans le verbe communier (contrairement à aimer). Dans tous les cas de figure, il y a nécessairement au moins deux Agents qui sont aussi, obligatoirement, Objets.
Communier est bien un Acte, et non un État, répondant au critère de transformation de l’Objet : la communion accroît le sentiment partagé. Ainsi, l’État amoureux s’active dans l’Acte de communion amoureuse.
Le lendemain, à peine l’aurore a-t-elle chassé les astres de la nuit, à peine les rayons du soleil ont-ils séché le gazon baigné de rosée, qu’ils reviennent au rendez-vous accoutumé. Après de longues plaintes murmurées à voix basse, ils décident qu’à la faveur du silence de la nuit ils essaieront de tromper leurs gardes et de fuir leur demeure, résolus, dès qu’ils en auront franchi le seuil, à sortir aussi de la ville ; et, pour ne pas errer à l’aventure dans les vastes campagnes, ils conviennent de se réunir au tombeau de Ninus et de se cacher sous le feuillage de l’arbre qui le couvre. Là, en effet, chargé de fruits plus blancs que la neige, un mûrier, à la cime altière, s’élevait sur les bords d’une fraîche fontaine.

Pyrame et Thisbé se donnent rendez-vous → on indexe[1] dans la Catégorie:Inviter (Acte).

Le rendez-vous est une invitation réciproque. Les deux (ou plus) personnages concernés sont donc à la fois Agents et Objets. Chacune des parties voit son programme transformé : agenda mais aussi préparation de la rencontre pouvant entraîner d'autres changements. C'est donc bien un Acte, surtout que bien souvent, dans une narration, un projet de rencontre conduit vers un moment clé.
Ce projet leur sourit : le jour, qui semble s’éloigner lentement, se plonge enfin au sein des flots, et de ces flots la nuit sort à son tour. D’une main adroite, au milieu des ténèbres, Thisbé fait tourner la porte sur ses gonds : elle sort, elle échappe à ses gardes, et, couverte d’un voile arrive au tombeau de Ninus, et s’assied sous l’arbre désigné ; l’amour lui donnait de l’audace.

Thisbé sort malgré l'interdiction → on indexe[1] dans la Catégorie:Transgresser (État).

Transgresser n'a pas d’Objet, c'est donc un État. Même en considérant que l’Objet est l’interdit, l'interdit n'est pas transformé par la transgression (en transgressant, l’Agent se libère de l’interdit, ce sont ses actions à venir qui transformeront des Objets).
Voilà qu’une lionne, la gueule encore teinte du sang des bœufs qu’elle a dévorés, vient se désaltérer dans les eaux de la source voisine. Aux rayons de la lune, la vierge de Babylone, Thisbé, l’aperçoit au loin ; d’un pas tremblant elle fuit dans un antre obscur ; et dans sa fuite elle laisse tomber son voile sur ses pas. La farouche lionne, après avoir éteint sa soif dans ces ondes abondantes, regagne la forêt : elle trouve par hasard ce voile abandonné et le déchire de ses dents sanglantes.
Il ne sera pas nécessaire de retenir ici le personnage de la lionne ni sa journée de chasse et la soif qui s'ensuit. On pourrait indexer dans une catégorie Terroriser (la lionne terrorise Thisbé) mais ce mythe n'apporte rien sur la terreur. Il ne s'agit que des circonstances qui font que

Thisbé s'éloigne du lieu de rendez-vous pour se protéger de la lionne → La lionne détourne Thisbé de son objectif (ou son plan, son projet, son intention) → on indexe[1] dans la Catégorie:Détourner de l’objectif, sous-catégorie de la Catégorie:Détourner (Acte).

Cela crée une situation : Thisbé ne sera pas au rendez-vous. Il est toutefois inutile de la schématiser puisqu’elle découle évidemment de l’Acte Détourner.
Sorti plus tard, Pyrame

On a déjà indexé la Catégorie:Transgresser

[Pyrame] voit la trace du monstre profondément empreinte sur la poussière et la pâleur couvre son visage. Mais bientôt, à la vue du voile ensanglanté de Thisbé :

Pyrame interprète des indices qui lui révèlent les causes de l'absence de Thisbé → on indexe[1] dans la Catégorie:Enquêter sur une disparition, sous-catégorie de la Catégorie:Enquêter (État).

Le verbe étant généralement intransitif, grammaticalement, il ne comporte pas de complément d’objet. Pour ce qui est de notre Objet, on peut évidemment considérer que c’est la disparition mais elle n’est pas transformée par l’enquête. Il s’agit donc bien d’un État.

L’interprétation des indices par Pyrame est erronée (le lecteur le sait) → on indexe[1] dans la Catégorie:Tromper soi-même, sous-catégorie de la Catégorie:Tromper (Acte).

Schéma : Pyrame se trompePyrame trompe PyrameCatégorie:Tromper soi-même (il est préférable qu'une sous-catégorie commence par le verbe de la catégorie parente).
« La même nuit, s’écrie-t-il, verra mourir deux amants : elle, du moins, était digne d’une plus longue vie ! Le coupable, c’est moi ; c’est moi qui t’ai perdue, infortunée, moi qui t’ai pressée de venir pendant la nuit dans ces lieux où tout inspire l’effroi ; et je n’y suis point venu le premier !… Ah ! mettez mon corps en lambeaux et punissez mon forfait en déchirant mes entrailles par vos cruelles morsures, ô vous lions, hôtes de ces rochers !

Pyrame s’accuse et se condamne

→ on indexe[1] dans la Catégorie:Accuser soi-même, sous-catégorie de la Catégorie:Accuser (Acte).
→ on indexe[1] dans la Catégorie:Condamner soi-même, sous-catégorie de la Catégorie:Condamner (Acte).
Mais les lâches seuls désirent la mort ». À ces mots il prend le voile de Thisbé et l’emporte avec lui sous l’arbre où Thisbé dut l’attendre ; il arrose de ses larmes ce tissu précieux ; il le couvre de ses baisers : « Reçois mon sang, dit-il, il va couler aussi ». Alors il plonge dans son sein le fer dont il est armé, et, mourant, le retire aussitôt de sa blessure fumante. Il tombe renversé sur la terre, et son sang jaillit avec force. Ainsi le tube de plomb, quand il est fendu, lance en jets élevés l’eau qui s’échappe en sifflant par l’étroite ouverture, frappe les airs et s’y fraie un passage. Arrosés par cette pluie de sang, les fruits de l’arbre deviennent noirs, et sa racine ensanglantée donne la couleur de la pourpre à la mûre qui pend à ses rameaux.

Pyrame s’exécute → on indexe[1] dans la Catégorie:Tuer soi-même mais aussi dans la Catégorie:Tuer pour exécution sous-catégories de la Catégorie:Tuer (Acte).

En effet, Pyrame se suicide (se tue lui-même) à la fois pour se punir (exécuter l’auto-condamnation) mais aussi parce qu’il ne supportera pas de vivre sans Thisbé.
Cependant Thisbé, tremblante encore, pour ne pas causer à son amant une attente trompeuse, revient et le cherche et des yeux et du cœur ; elle brûle de lui raconter les dangers qu’elle a évités. Elle reconnaît le lieu, elle reconnaît l’arbre ; mais le changement qu’il a subi et la nouvelle couleur de ses fruits, la jettent dans une profonde incertitude : tandis qu’elle hésite, elle voit un corps palpitant sur la terre ensanglantée ; elle recule plus pâle que le buis, et, saisie d’horreur, elle éprouve un frémissement semblable à celui de la mer, quand un léger souffle en ride la surface. Bientôt reconnaissant l’objet de son amour, elle fait retentir les airs des coups affreux qui meurtrissent son sein, arrache ses cheveux, presse dans ses bras les restes chéris de Pyrame, pleure sur sa blessure, mêle ses larmes avec son sang, et, tandis qu’elle imprime des baisers sur ce visage glacé : « Pyrame, s’écrie-t-elle, quel coup du sort te ravit à ma tendresse ? Cher Pyrame, réponds-moi : c’est ton amante, c’est Thisbé qui t’appelle ; entends sa voix et soulève ta tête attachée à la terre ». À ce nom de Thisbé, il rouvre ses yeux déjà chargés des ombres de la mort, et les referme après l’avoir vue.

Thisbé revient sur le lieu du rendez-vous et découvre son amoureux mort → on indexe[1] dans la Catégorie:Découvrir un être aimé mort, sous-catégorie de la Catégorie:Découvrir (État).

Une découverte ne transforme pas l’Objet découvert. Elle transforme le plus souvent l’Agent mais ce sont ses réactions qui engendreront les Actes produisant des transformations. Il s’agit donc bien d’un État.
Elle reconnaît alors son voile, elle voit le fourreau d’ivoire vide de son épée : « C’est donc ton bras, dit-elle, c’est ton amour qui t’a donné la mort, infortuné ! Et moi aussi je trouverai dans mon bras le courage de t’imiter, dans mon amour la force de m’arracher aussi la vie. Je te suivrai dans la nuit du tombeau. On dira : l’infortunée fut la cause et la compagne de sa mort. Hélas ! le trépas seul pouvait te séparer de moi ; il ne le pourra plus. Ah ! du moins accueille cette prière, vous trop malheureux parents de Thisbé et de Pyrame : à ceux que l’amour le plus fidèle et l’heure suprême de la mort ont réunis, n’enviez pas le bonheur de reposer dans le même tombeau. Et toi, arbre dont les rameaux ne couvrent maintenant que les restes déplorables de Pyrame, et qui vas bientôt couvrir aussi les miens, porte à jamais les marques de notre trépas : puissent tes fruits, sombre emblème de deuil, être l’éternel témoignage d’un double et sanglant sacrifice ! » Elle dit, et se laisse tomber sur la pointe de l’épée qui traverse son cœur, toute fumante encore du sang de Pyrame. Les dieux exaucèrent sa prière ; les parents l’exaucèrent aussi : le fruit de l’arbre, arrivé à sa maturité, prend une couleur sombre, et leurs cendres reposent dans la même urne.

Thisbé implore le mûrier et ses parents de graver cet événement dans le temps → on indexe[1] dans la Catégorie:Implorer le divin, sous-catégorie de la Catégorie:Implorer (Acte).

On considère que l’accès aux parents (absents au moment de la prière) et à la nature transite par le divin (pris dans un sens neutre et général : nature, dieu unique, dieu affecté à un domaine spécifique, etc.).
Il s’agit bien d’un Acte puisque la réflexion que la prière demande au personnage imploré vient s’ajouter à ses préoccupations, ce qui constitue une transformation pouvant s’avérer importante dans une narration (cas de conscience par exemple).

Thisbé se suicide : le récit est déjà indexé dans la Catégorie:Tuer soi-même.

le divin exauce le vœu de mémoire de Thisbé → on indexe[1] dans la Catégorie:Exaucer un vœu de mémoire, sous-catégorie de la Catégorie:Exaucer (Acte)..

On comprend que dans cette formulation l’Objet transformé n’est pas le vœu (qui fait corps avec le verbe exaucer) mais le personnage qui a formulé le vœu dans le but évident que sa réalisation change quelque chose pour lui.

Schémas narratifs

Notes

Raphaël Baroni : Tension narrative (Seuil [Poétique], 2007) — p.187

L'interdiction fait partie des matrices qui sont le plus souvent exploités pour créer de la tension narrative.

Documentation

Hélène Vial souligne l’illusion (malentendu), le souvenir (postérité) gravé dans le mûrier, envisage le jaillissement du sang comme métaphore de l’acte sexuel non accompli.

Pour vidéo

Œuvres inspirées par le mythe

Yoko Tawada 
Opium pour Ovide (Verdier [Der Doppelgänger], 2002) — p.167-175

Yoko Tawada a fait de Thisbé une coiffeuse qui est « comme une fente dans le mur » racontant aux uns les histoires des autres, lesquels ne se parlent pas directement. Adolescente, elle était amoureuse d’un voisin, « psychologiquement fragile », à qui il lui était interdit de parler. L’autrice interprète-t-elle le suicide de Pyrame comme une fragilité psychologique ?


Shakespeare

Roméo et Juliette est directement inspiré du mythe.

Dans Le Songe d’une nuit d’été, Pyrame et Thisbé y est mis en scène par les personnages de la pièce (pièce dans la pièce).


Boccace 
Décaméron (Diane de Selliers [La Petite Collection], 2010) - - première édition : 1353
— Quatrième journée « dans laquelle, sous le commandement de Philostrate, on devise de ceux dont les amours eurent une fin malheureuse »


Bib:ATPT

Notes

  1. 1,00, 1,01, 1,02, 1,03, 1,04, 1,05, 1,06, 1,07, 1,08, 1,09, 1,10, 1,11, 1,12, 1,13 et 1,14 "On indexe" sous-entend "On indexe la page sur laquelle on présente le récit"; c'est-à-dire on indique entre doubles crochets le nom de la catégorie dans laquelle on veut voir apparaître ladite page.